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antienne ; quelquefois c’étaient des airs de Lulli ou de Rameau, que nous avons chantés ensemble. Je revenais à deux ou trois heures du matin, m’orientant à travers les corridors noirs et suivant, dans les prés humides, les méandres du Clain sous l’ombre des grands saules. Quand il faisait clair de lune c’était une charmante promenade ; mais, par les nuits sombres, ce vieux couvent ruiné avait quelque chose de sinistre. Cependant j’y allais par tous les temps, et l’hiver comme 1 été. Souvent je me suis surpris au milieu de la nuit, et les pieds dans la neige, à l’entrée du faubourg. Je ne sentais pas le froid. La musique m’avait enlevé au delà de ce monde. Mon imagination habitait des contrées aux vagues horizons, baignées de soleil et saturées de parfums. Était-ce un sommeil ? était-ce une ivresse ? Je ne sais. Seulement les souffrances de mon âme étaient apaisées ; les cordes douloureuses ne vibraient plus : j’oubliais la vie présente.

— Comme vous aimez la musique ! s’écria Jeanne.

— Je l’aime trop, reprit l’abbé avec un accent de regret ; un prêtre ne devrait pas tant attacher son cœur à des joies terrestres. Quelquefois j’essaye de vaincre ce goût passionné. Mais que voulez-vous ? je prie mieux en chantant, et, quand je récite mes prières à voix basse, il me semble qu’elles montent moins vite jusqu’au ciel.

— Mais, mon cher curé, vous n’avez pas d’orgue à Saint-Jouvent, dit M. Margerie ; et malheureusement