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En se retrouvant dehors, et seul dans la campagne, le premier sentiment d’Emmanuel de Rouvré avait été un sentiment de dépit. Mais à peine eut-il fait quelques pas, que l’air du matin calma l’effervescence de ses idées ; une sorte de soulagement inavoué remplaça dans son cœur la rage de la défection et la douleur du renoncement. Lui aussi, depuis vingt-quatre heures, il avait été entraîné par les événements, plus vite et plus loin, peut-être, qu’il n’aurait voulu. Poussé par le désir, excité par les obstacles, il s’était décidé à enlever sa maîtresse ; mais sans vouloir envisager l’énormité de l’action, ni calculer jusqu’à quel point il engageait sa vie. À cette heure, tandis qu’il jetait sur les tours de Mauguet, qui se dessinaient en noir sur le ciel clair, de longs regards de regret, sa conscience se sentait comme dégagée d’un grand poids. La passion déçue luttait dans son cœur avec la consolation d’être délivré d’un remords, et un secret amour de sa liberté.

Il cheminait machinalement vers la grande route, à travers les bois et les prés, pour regagner la voiture qui devait emporter lui et madame de Mauguet ; et, tout en marchant dans l’herbe humide, et en se serrant dans son manteau pour se défendre de la bise piquante de l’aube, il prenait tour à tour les résolutions les plus contraires. Tantôt il voulait quitter le pays à l’instant, et sans jamais rien revoir qui dût lui rappeler l’idole abandonnée ; tantôt, malgré la promesse arrachée par Jeanne, il songeait à se venger de son échec par une éclatante victoire ; tantôt, enfin, ni