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— Bien que je sois vieille fille, j’ai aimé, moi aussi ; comment n’aurais-je pas pitié de vos peines ?

— Je ne veux pas de pitié, répliqua l’orgueilleuse femme en se redressant de toute sa hauteur… Si j’aime en dehors des lois, c’est que les lois m’ont blessée ! c’est que mon cœur n’a su où se prendre, dans la vie que vous m’avez faite ; c’est que je ne suis pas née, moi, seulement pour servir d’intermédiaire entre le passé et l’avenir de votre maison, pour être un pion dans votre jeu, un meuble nécessaire dans votre vieux château. J’ai une âme, je sens, je souffre. Je veux vivre, enfin !

— Croyez-vous donc, Marguerite, que je n’avais pas d’âme, moi ? que je n’ai rien senti ?… que je n’étais pas altérée, aussi, des joies de la vie ?… — Mais il ne s’agit point de ces vieilles douleurs !… Vous avez plus souffert, sans doute, puisque vous avez été plus tentée…

Marguerite chancelait, terrassée par cette grandeur qui se faisait si petite pour lui sauver une humiliation. Ses yeux, brillants encore du feu de la fièvre, avaient perdu de leur expression farouche. Sa résolution tenait toujours, mais son cœur tremblait dans sa poitrine.

Emmanuel de Rouvré, lui, restait immobile, près de la vicomtesse, attendant un mouvement ou un ordre. Il était pâle et contenait sa colère avec peine ; mais il eût préféré vingt fois se trouver en face d’un homme, fût-ce même d’un mari offensé et furieux,