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du feu, en face d’Emmanuel, comme si elle eût été dans ce salon la dernière des étrangères.

L’abbé Aubert et Louis Thonnerel seuls s’aperçurent de cet isolement marqué ; leur douleur en augmenta, car ce mouvement de séparation trahissait l’étendue du mal. « Ainsi donc, pensèrent-ils, cette femme, l’épouse et la mère, ne tient plus à la famille ! Son cœur adultère est tout entier à cet étranger, que nul de nous ne connaissait il y a trois mois, et dont elle-même avait presque perdu le souvenir ! Tandis que nous nous unissons dans un même but et dans une même reconnaissance, elle n’éprouve rien pour la noble femme qui s’est offerte en holocauste au salut de sa maison, ou plutôt elle n’éprouve qu’un sentiment horrible, le besoin de nous voir tous anéantis, car nous sommes entre elle et sa passion ! »

— Il faut, ma chère tante, dit le vicomte, que nous célébrions en famille ce bienheureux anniversaire. Nous souperons tous ensemble, et Pierre, si vous le voulez bien, veillera et soupera avec nous pour la première fois. Madame Margerie représentera l’ami dont le souvenir vivra toujours parmi nous. Ainsi, vous verrez en même temps, autour de vous, le passé, le présent et l’avenir : votre ouvrage !

Le visage de Jeanne de Mauguet était illuminé par une joie divine.

— Ah ! que ce moment paye bien des douleurs ! dit-elle. Eh bien ! oui, je veux en jouir, je veux me dire et m’entendre dire ce soir que j’ai relevé ce toit