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En ce moment, la pauvre créature était arrivée au dernier paroxysme de l’aveuglement. La scène qui venait d’avoir lieu lui avait rendu l’énergie, mais l’énergie du mal. Comme toutes les natures exaltées, Marguerite passait vite de l’excès de l’abattement à l’excès de la révolte. En se voyant de tous côtés trahie par le sort, elle se redressa, comme Satan au milieu des flammes. Pendant le court espace de temps qu’elle avait passé seule, au jardin, les idées les plus terribles s’étaient succédé dans son cerveau malade.

« Hé quoi ! avait-elle pensé, suis-je donc la chose de tous ces gens qui m’entourent et me gardent ici comme dans une prison morale ? Suis-je donc vouée au malheur par une divinité cruelle, qui ne m’aurait jetée sur la terre que pour me montrer le bonheur et me le refuser ? Que m’importe une vertu qui me torture ! Ai-je vécu jusqu’à ce jour ? Je compte trente années, et je cherche en vain dans mes souvenirs les heures où mon cœur a battu. Puis, voilà qu’aujourd’hui, parce que je suis l’épouse d’un homme que je n’aime point, parce que je suis la mère d’un enfant dont le cœur et les jeunes caresses appartiennent à d’autres, parce que je porte le nom d’un vieux et triste manoir, toutes les puissances sociales, représentées par les parents, les amis, les convenances, et je ne sais quoi d’odieusement tyrannique, se liguent contre moi, me surveillent, me jugent, m’humilient, me menacent même… se mettent, enfin, entre moi et mon amant, comme l’archange, à l’épée flam-