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et de tortures. Cependant elle fut rappelée au sentiment du présent par son mari, que cette course patriarcale du château à l’église ne laissait pas sans attendrissement. Depuis longtemps il suivait des yeux sa tante et le conseiller d’État qui causaient, appuyés l’un sur l’autre, avec un abandon plein de noblesse et de confiance.

— Regardez-les, Marguerite, dit-il en pressant doucement le bras de sa femme ; quel touchant exemple d’affection ! Voici trente ans, bientôt, qu’ils vont ainsi dans la vie, marchant côte-à-côte, échangeant leurs joies et leurs peines ; comme ils s’aiment encore ! Rien n’a flétri dans leurs cœurs les premières fleurs de l’amour ! C’est beau et c’est bon de retrouver chez les vieillards la fraîcheur des sentiments de la jeunesse !…

Marguerite leva la tête, vit le vieux couple absorbé dans une conversation qui lui parut sérieuse, et se dit avec effroi : « Ils parlent de moi… »

— Ainsi serons-nous un jour, ma chère femme, poursuivit le vicomte avec un accent plus tendre ; ainsi, et mieux encore, car ils n’ont pas ce lien chéri…

Et il montra Pierre qui courait devant eux.

La vicomtesse s’arrêta toute tremblante et leva sur son mari un regard égaré, en balbutiant :

— Pourquoi ?…

Elle n’acheva pas. « Pourquoi me parlez-vous ainsi ? aurait-elle dit ; est-ce un exorde ? Est-ce une préparation pour rendre mon cœur plus sensible au coup qui va le frapper ? »