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comme un automate, et non comme une créature douée de volonté spontanée.

Tout le monde était à la table dans la vieille salle à manger aux murs blancs et aux meubles sombres ; Jeanne récitait le benedicite en face du crucifix qui n’avait pas quitté le cône de la haute cheminée.

Pâle, les yeux baissés, le sang glacé autour du cœur, Marguerite s’avança vers sa place, conduite par l’enfant, qui cessa de rire dès qu’il entendit la prière. Elle fit à son tour le signe de la croix, et s’assit en attendant son arrêt.

Personne ne le prononça pourtant. Après quelques minutes, elle hasarda des coups d’œil furtifs autour de la table, pour surprendre sur les physionomies les signes de douleur et de colère. Elle ne vit rien de menaçant. D’ailleurs, après le bonjour matinal échangé, personne ne parla. On mangeait vite pour partir vite. C’était là sans doute la cause du silence. Mais Marguerite se demandait si ce calme n’annonçait pas un formidable orage.

Quelles émotions remplaçaient maintenant dans son cœur ce vide, cet ennui, cette vague désespérance, tant maudits autrefois ! Elle vivait d’une vie dévorante, passant en une heure du comble de l’ivresse au comble de l’angoisse, atteignant aux joies suprêmes et côtoyant l’abîme entr’ouvert. Le monde réel disparaissait autour d’elle pour faire place à une sorte de fantasmagorie, où s’agitaient les démons et les anges, tour à tour l’attirant et la repoussant, l’entraînant à