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lit. Il fallait aviser à parer les coups, ou ne pas les attendre. Le jour allait paraître, et, avec le jour, s’avançait pour elle l’heure du danger.

L’idée de sortir de sa chambre et de se montrer au milieu de la famille pour déjeûner lui était insupportable. Elle eût cent fois préféré affronter une batterie que les regards de son mari, de Jeanne, de Louis Thonnerel, de madame Margerie et des domestiques.

« Que le courage militaire des hommes est donc peu de chose ! en comparaison avec le courage moral qu’il faut aux femmes pour braver certaines situations ! » pensait-elle en s’habillant.

Certes, elle se serait enfuie au bout du monde, plutôt que de supporter la confusion de paraître, la honte au front, devant celui qui l’avait prise en faute. Il fallait s’y risquer cependant ; car, d’une part, la fuite était impossible en ce moment ; de l’autre, elle conservait un secret espoir, un espoir inavoué, que peut-être la rencontre dans le bois et le changement de place de la chaise étaient deux faits isolés, ne remontant pas à la même cause. En ce cas, elle pouvait tromper encore, et mettre sa sortie sur le compte d’une indisposition ou d’une fantaisie. D’ailleurs, ces obstacles qui traversaient sa passion, loin de l’éteindre, l’enflammaient davantage. Toutes ces barrières qui la séparaient d’Emmanuel lui inspiraient l’envie de les franchir. Elle s’indignait des menaces de sa conscience et des craintes de son orgueil comme