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d’ailleurs, était sincèrement affligée. Bien qu’elle eût moins de raisons, pour pleurer, que sa tante et son mari, elle n’oubliait pas que le docteur avait sauvé son fils. Jamais, depuis dix ans, la moindre discussion, la plus légère hostilité n’était venue troubler la douceur de leurs relations. Elle ne controversait point avec lui comme avec le curé ; elle ne lisait point habituellement le blâme dans ses yeux. Quand il ne fut plus là, elle se souvint de tous ces détails et pensa, pour la première fois, qu’elle aurait pu s’en faire un ami.

Ses regrets, cependant, s’émoussèrent vite, comme s’émoussent toutes les tristesses, quand on est jeune et que le cœur vit au delà du présent et n’a point encore de passé. Il n’en fut point de même de ceux de mademoiselle de Mauguet, du curé, de Louis Thonnerel.

Ils avaient un passé, eux. — Un passé déjà long… Cette mort, c’était le premier anneau qui se rompait dans la chaîne de leur vie ; le premier coup de cloche qui leur annonçait la fin de tous les travaux, de tous les amours, de toutes les espérances terrestres. Ils se comptaient et ne se trouvaient plus que trois qui avaient vu le siècle fini et traversé le grand orage social des temps modernes.

Ce sont les souvenirs qui vieillissent l’âme. Quand on compte dans son cercle deux ou trois places vides ou qu’on appelle en vain d’anciennes amitiés, on sent que le Temps a passé sur vous sa main sèche et froide.