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qu’Emmanuel sentit l’ivresse le gagner. Un moment auparavant il jouait encore avec le cœur de sa maîtresse. Tout à coup, l’image qu’il avait évoquée pour séduire Marguerite le séduisit lui-même. Il éprouva vraiment une folle envie d’enlever la vicomtesse et d’aller épuiser avec elle, dans un coin perdu de la Suisse ou de l’Italie, les trésors de l’amour heureux.

Il y eut entre les deux amants un moment d’embarras et de silence. Ils étaient arrivés, dès l’abord, à un tel paroxysme de folie qu’ils ne pouvaient plus ajouter un mot sans faire un pas décisif dans la voie de perdition. Tous deux d’ailleurs étaient intérieurement effrayés de leur audace. L’officier craignait d’engager ainsi sa vie entière dans un moment d’ivresse, Marguerite tremblait de lui sembler trop facile à convaincre, trop éprise, trop ardente ; et puis un remords aigu lui poignait le cœur. Elle pensait à son mari, à son fils, à ses devoirs dont nulle injustice, nul mauvais procédé n’avaient dégagé sa conscience, aux exemples de vertu et de courage qui l’entouraient et qui la faisaient paraître si petite et si faible.

La fraîcheur de la nuit descendait du ciel comme pour annoncer le matin. Une brume bienfaisante voilait l’éclat des étoiles et semait çà et là des perles de rosée qui tremblaient à la pointe, des grandes herbes que faisait incliner la brise. Nul bruit, nul écho de la vie ne venait faire diversion aux rêveries dangereuses de Marguerite et d’Emmanuel. Ils se serraient l’un près de l’autre, en regardant le profil des arbres