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combat un cœur tout entier pour enjeu. Aussi, appréciait-il cette rencontre comme un coup de fortune, et voulait-il en savourer toutes les joies. Seulement, ce ne fut pas en gourmet habile et savant qu’il les dégusta ; l’ivresse le gagna, et un moment vint où il se trouva devant Marguerite aussi fiévreux et aussi troublé qu’elle.

Jusqu’à la rapide scène qui les avait fait complices, Emmanuel de Rouvré s’était senti libre et maître de lui-même ; mais depuis l’aveu, si entier, de la vicomtesse, depuis que, par un seul mouvement, elle avait trahi tout son amour, il ne retrouva plus le sang-froid qui était toujours demeuré comme spectateur de toutes ses entreprises amoureuses. À son tour, il aimait.

Maintenant, quel avenir était réservé à cet amour partagé ? C’est ce que ni l’un ni l’autre n’avait osé se demander. Marguerite était heureuse de l’ivresse même de son cœur. Elle ne voulait pas songer aux conséquences des ardents regards échangés pendant la présence des importuns, des serrements de mains discrets, des rencontres rapides au coin des chemins ; mais elle se sentait en même temps incapable de trahir jusqu’au bout la foi conjugale, en menant la vie menteuse d’une épouse adultère ; incapable de résister à son amant s’il voulait tout exiger, et incapable de contenir longtemps les marques extérieures de sa passion. Emmanuel allait devant lui, content du billet de la veille et du rendez-vous du lendemain, espérant