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s’enfermer dans un monstrueux égoïsme… Je suis prêtre et j’admire la Fiancée de Corinthe… Cependant, si je commandais au gré de ma conscience, je ferais brûler par la main du bourreau cet audacieux plaidoyer de la chair contre l’esprit.

L’abbé Aubert parlait avec feu. D’abord il avait été heureux de trouver enfin la vicomtesse disposée à l’entendre ; ensuite il s’était laissé emporter par la verve ardente de son esprit convaincu. Peu à peu il oubliait à quelles oreilles s’adressait son improvisation. Il cessait d’être apôtre pour se transformer en lutteur de l’intelligence, et descendait de la chaire pour entrer dans l’arène. Sans doute il lui semblait revenir aux années de sa jeunesse, et causer encore avec Jeanne et Louis Thonnerel.

— Non, poursuivit-il, la force n’est pas dans l’orgueil, ni la grandeur dans la révolte. Les poëtes, comme les artistes, séduisent notre imagination et règnent sur ses enthousiasmes fugitifs ; mais la vérité éternelle et sainte n’a rien à recevoir ni à perdre du caprice de leurs conceptions. Malheureusement, peu d’esprits sont assez solidement établis dans la foi pour lire sans danger ces libelles admirables et insensés. C’est pour cela qu’il faut les proscrire et les combattre… Que deviendrait le libre arbitre, si Werther avait raison ? Admirons Gœthe qui a su nous intéresser à cet être orgueilleux et faible, mal à l’aise dans la vie parce qu’il ne sait ni lutter, ni se résigner, ni oser ; et estimons à sa juste valeur ce Werther maladif,