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Madame de Mauguet, cette fois, avait écouté l’abbé Aubert, parce qu’elle voulait l’amadouer pour se servir de lui ; d’ailleurs elle trouvait un intérêt relatif aux questions brûlantes qu’il abordait.

— Je lisais hier, dit-elle, un de ces livres que vous réprouvez et qui me captivent invinciblement : c’est Werther. Celui-là aussi termine ses douleurs passionnées par le suicide. Comme Manfred, il va demander à l’Être puissant et terrible que nous cachent les nuages les secrets qui consolent. Il succombe aux orages de son cœur, comme l’autre à ceux de son intelligence. Vous l’accusez alors ? vous le damnez ? Pourtant est-ce par sa faute que la passion l’a saisi, l’a secoué et déraciné, comme l’ouragan secoue et déracine un jeune arbre trop frêle pour résister ?

— Vous êtes éloquente, madame, pour défendre ces belles créations du génie humain qui nous racontent avec un merveilleux langage nos luttes, nos douleurs, nos amours, nos forces sublimes et nos pitoyables faiblesses. Eh ! croyez-vous donc que moi aussi je ne les aime pas ces magiques poëmes ? Moi, qui me laisse prendre avec tant de charme à la musique de Mozart, comment n’apprécierais-je pas Byron, Gœthe, Schiller, Chateaubriand, ce grand chrétien qui a eu son heure mauvaise puisqu’il a écrit René. Mais, c’est comme une ivresse dont je me défends. Il faut arracher de notre cœur et de notre esprit la coupable complaisance qui les porte sans cesse à s’analyser eux-mêmes, à déifier leurs passions ou leurs erreurs, à