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— Il n’y a pas de damnés sur la terre, madame, il n’y a que des pécheurs.

— Alors, je suis une pécheresse ?

— Madame, n’équivoquons pas sur les mots ; nous sommes tous ici-bas des pécheurs et des pécheresses. Vous, comme les autres, ni plus ni moins. C’est de là qu’il faut partir, pour établir nos prétentions et nos devoirs. Je vous reproche seulement d’oublier trop souvent ce principe, comme le font d’ailleurs tant de beaux génies contemporains. Et d’abord, permettez-moi de vous le dire : l’esprit de discussion est antipathique à l’esprit catholique. Tout se discute, voyez-vous ; alors, il n’est plus une seule vérité au monde, et le dernier mot de toutes choses est le doute et le désespoir. Vous, qui lisez volontiers les auteurs étrangers, s’il vous prenait un jour l’idée d’ouvrir les livres d’un très-profond et très-obscur philosophe appelé Kant, vous y pourriez voir une théorie des antinomies qui vous démontrerait comme quoi il y a exactement autant de bonnes raisons pour soutenir une théorie que pour la combattre ; et ces raisons ne se détruisent pas l’une l’autre. Que nous resterait-il donc en héritage ? L’incertitude !… Et n’est-ce pas le plus cruel des tourments ?…

La vicomtesse regardait l’abbé Aubert d’un œil atone. Elle semblait l’écouter et réfléchir sur ses graves paroles. Toutefois, depuis les premières phrases de son homélie, elle avait cessé d’y prendre garde pour se dire : « Après tout, c’est peut-être un bon-