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« Mais comment l’aborderai-je, lui, Emmanuel ? Que saurais-je lui dire si je le trouve froid et interrogateur devant ma folie ? Ou bien, malheureuse ! si je le trouve auprès d’une autre ?

« Je lui dirai : « Monsieur, de quel droit êtes-vous venu détruire le repos d’une femme honnête et pure, d’une mère de famille ? car vos lèvres ont murmuré à mon oreille des paroles troublantes… car vous m’avez écrit une déclaration d’amour »…

« Et s’il allait me répondre : « Madame, je ne sais ce que vous voulez dire ?… » Je deviendrais folle ou je mourrais de honte. »

Peu à peu, cependant, les pensées de la vicomtesse prirent une teinte moins tragique. Elle se représenta Emmanuel amoureux et ravi, la remerciant mille fois, et elle, reprenant son avantage, ne se compromettant pas trop, mais enchaînant pour jamais cet amant rebelle et dominateur.

Puis elle pensa au retour, côte à côte à travers champs ; à l’enivrement de ce premier tête-à-tête…

Et, tout en se laissant aller au pas plus tranquille de son cheval, la tête penchée en avant, le menton appuyé sur la pomme de sa cravache, elle ne prenait pas garde à une ombre noire que le soleil projetait près de la sienne, sur le sable de la route.

Cette ombre avait d’abord fait diligence pour la rejoindre. Mais alors elle semblait tenir sa monture au même pas que celle de la vicomtesse et l’observer attentivement.