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« J’en suis descendue à le provoquer. Ô honte ! »

Le lendemain elle se promenait dans le château en proie à une excitation fiévreuse. Chaque bruit la faisait tressaillir ; ses regards inquiets se portaient alternativement de la porte de la cour à la pendule du salon. Elle avait calculé l’heure précise à laquelle le vicomte devait lui ramener son amant, mais en attendant même, elle ne pouvait maîtriser ses émotions. De temps en temps elle s’asseyait et prenait un livre : c’était Werther. Cette lecture dévorante s’harmoniait trop bien avec la situation de son âme. Ses doigts tremblaient tandis qu’elle tournait les pages. Elle en était à la scène du clavecin, lorsque le jeune Pierre entra brusquement et courut à elle pour lui montrer un papillon qu’il venait de prendre.

D’ordinaire, prévenu sans doute par un secret instinct qui éloigne les enfants de ceux qui ne sont pas sympathiques à leur nature bruyante et prime-sautière, Pierre n’adressait pas à sa mère de caresses spontanées, et ne la prenait guère pour témoin ou partenaire de ses jeux. Mais cette fois sa joie était trop vive pour qu’il pût la contenir, et il n’avait à sa portée ni Jeanne, ni Myon, ni même son père. C’est pourquoi il tomba sur les genoux de la vicomtesse en criant : Victoire ! Elle le repoussa d’un geste impatient :

— Va donc au jardin avec tes bêtes !… tu froisses ma robe… tu m’étouffes.

Elle venait d’entendre le galop d’un cheval… d’un seul… Les chiens n’aboyèrent pas. Elle se précipita