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dicible angoisse… pourtant je ne voudrais pas retourner en arrière ; n’avoir jamais vu Emmanuel, n’avoir pas reçu ce fatal billet !… Non, au prix des années de jeunesse qui me restent !… Malheureuse créature que je suis !… Il ne m’aime pas, cependant !… Quand bien même ce billet serait pour moi, que prouverait-il ?… Que M. de Rouvré veut lier ici une affaire de cœur pour animer un peu la vie de garnison : voilà tout ! Ah ! je sens bien ma faiblesse ! je vois clair dans ma situation… C’est de sa part une intrigue comme cent autres, une distraction, une pique d’amour-propre… tandis que moi… ma vie entière s’engage dans cette funeste passion ! Inconcevable folie ! ma raison m’avertit, et cependant je cours à l’abîme. L’amour serait-il donc une sorte de maladie qui vous saisit à son heure comme la fièvre tierce ? »

Elle s’arrêta soudain et resta rêveuse devant cette pensée formulée par sa plume au hasard, puis elle se reprit à écrire.

« J’ai le vertige ; qu’importe d’où il vienne ? J’aime, je me sens vivre, mon cœur bat, mon imagination court à travers des espaces enchantés ; il me semble que je suis reine et que le monde m’appartient… Eh bien ! j’enfermerai en moi-même cette ivresse adorable et dangereuse. Il ne saura pas que je l’aime… Et alors, qu’ai-je à craindre ? »

C’est ainsi qu’au milieu de cette vie uniforme de Mauguet s’agitaient des drames mystérieux et menaçants. Chaque jour en ramenant les mêmes occupa-