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— Allons, dormez bien ! reprit la douairière, en refermant sa porte. La maladie n’est pas dangereuse.

Pas dangereuse !… Ainsi Jeanne toute à son œuvre et à son but s’aveuglait à ce point sur l’état du cœur de sa nièce !… Un précipice béant était ouvert à ses côtés et elle ne le voyait pas ! Nul pressentiment, nulle voix intérieure ne venaient l’avertir ni sonner l’alarme, comme l’ange qui faisait le tour des villes maudites en criant sept fois : Malheur !…

Non ! la noble créature vivait trop loin des faiblesses humaines, elle était trop accoutumée au sacrifice et au dévouement pour prévoir les révoltes de l’égoïsme, les tentations de la solitude et de l’ennui. Et puis, candide et naïve, dans sa grandeur même, elle ne pouvait croire, chez autrui, à cette perversité native qui gît au fond de presque tous les cœurs…

Une fois seule, Marguerite se précipita sur son cahier et écrivit d’une main fiévreuse :

« Oui, le sort en est jeté : j’aime ! j’aime follement, et d’une passion sans but et sans excuse. Il s’agite en moi comme un terrible ouragan que je ne saurais plus contenir. C’est un mélange de joie insensée, d’épouvantable terreur et d’étourdissante ivresse. Il me semble qu’en ce moment si je marchais dans la campagne, ou dans les rues d’une ville, j’irais donner de la tête dans les haies ou dans les murailles, comme les gens pris de vin… Jadis, j’ai souhaité dans mes dévorantes rêveries de ressentir l’amour. Aujourd’hui je suis prise, au seuil de cette nouvelle vie, d’une in-