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pied dans la campagne ; et lorsqu’elle rentra, appelée par la cloche du dîner, elle souhaitait secrètement qu’une indisposition, un ordre de service, ou n’importe quelle cause, eût empêché l’officier de venir.

Il vint cependant et elle demeura stupéfaite lorsqu’il la salua d’un air tranquille comme si rien, depuis sa dernière visite, n’avait dû changer leur position vis-à-vis l’un de l’autre. Cette dissimulation l’indignait, mais la frappait d’admiration et d’une sorte de crainte. Elle le trouvait fort, et, comme toutes les natures faibles, elle s’éprenait de la force, quand bien même cette force lui semblait insolente. C’est parce qu’elle frémissait du danger que le danger l’attirait.

Toute cette après-midi elle vécut comme en état de somnambulisme ; tremblante sous le regard calme d’Emmanuel qui lui semblait une bravade ou un abîme. Elle allait, venait, mangeait, jouait et parlait automatiquement et sans quitter cette pensée : « Dois-je le châtier de son billet comme d’une sanglante injure ? dois-je considérer cette mine indifférente comme une preuve de discrétion chevaleresque ? »

Elle s’appliquait à une seule chose : c’était à ne point se trouver assez près de lui pour rendre possible le plus court aparté. Mais, chose étrange, il semblait en prendre autant de soin qu’elle.

La soirée se passa donc sans qu’un mot ni un regard aient servi d’explication, d’aggravation, ou de commentaire au billet de la veille.

D’abord Marguerite s’en félicita, pensant que la situa-