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cier. « Je pourrai aussi bien le brûler demain, » pensa-t-elle.

Au fond, elle ne se sentait pas le courage d’anéantir ce papier magique : sa première lettre d’amour !

C’était une faible créature, après tout, que la vicomtesse Marguerite de Mauguet ; et il y avait loin de sa nature impressionnable et irrésolue au caractère noble et puissant de Jeanne. L’une allait toujours droit et ferme dans la voie de sa conscience ; l’autre s’arrêtait à tous les chemins de traverse. Elle voulait et ne voulait pas, elle tremblait et osait, cherchait l’amour et craignait de le trouver.

Peut-être fallait-il s’en prendre au temps où elle était née ; temps d’incertitude religieuse et morale. La bonne volonté ne lui manquait pas, non plus que le dévouement, car le dévouement c’est le fond du cœur de la femme. Ce qui lui manquait c’était la grandeur, c’était l’énergie. C’étaient, en un mot, les qualités fortes qui font les caractères d’exception.

Elle eut la fièvre toute la nuit, et le lendemain matin elle se leva plus indécise qu’elle ne s’était couchée la veille. Elle pensait à se dire malade et à ne pas quitter la chambre ; cependant elle s’habilla longuement et avec une recherche à la fois discrète et étudiée.

Quand l’heure de l’arrivée d’Emmanuel fut venue, elle sentit au cœur des trépidations si violentes qu’il lui fallut avoir recours à l’agitation physique pour les vaincre. Ce jour-là elle fit bien une lieue à