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tout à l’heure ; mais elle parla beaucoup, contre son ordinaire. On eût dit qu’elle s’était fait un rôle, ou bien qu’elle cherchait à s’étourdir.

Après le dîner, on alla se promener au bord de l’étang et sous les arbres qui avaient remplacé l’ancienne haute futaie, si courageusement abattue par Jeanne vingt-cinq ans auparavant ; les arbres étaient déjà grands et formaient un bois aménagé en manière de parc autour du manoir ; çà et là, d’anciens chênes, respectés par la cognée comme des témoins du passé, allongeaient leurs ombres sur de jeunes ormeaux qui semblaient figurer la génération à venir. Nulle clôture ne séparait ce bois de la campagne, car le château avait toujours paru suffisamment protégé par les deux étangs qui l’entouraient. Il y avait dans tout cet ensemble à la fois simple et grand je ne sais quoi de poétique qui plaisait plus encore au second regard qu’au premier ; il semblait que dans ce milieu la vie devait s’écouler paisible et recueillie.

Emmanuel en fit la réflexion : Jeanne répondit en souriant qu’il n’était point de lieu au monde où l’homme trouvât la paix parfaite et le bonheur sans nuages, et le vicomte s’écria :

— En vérité ! la paix du cœur est quelquefois bien ennuyeuse ! Ne faites pas d’homélies là-dessus, monsieur de Rouvré, car cela me donnerait envie de perdre un peu de vue mes vieilles tours pour aller chercher ailleurs, comme l’enfant prodigue, les orages qui animent la vie.