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— Nous serons pauvres, mon cher Louis, interrompit Jeanne avec un accent doux et mélancolique. Les jours de fêtes, s’ils reviennent, sont encore loin de nous. Nos neveux seront peut-être des grands seigneurs… mais nous, tristes arbres ébranchés par l’orage, déracinés par les torrents, toute notre énergie s’usera à nous maintenir debout. Les vicomtes de Mauguet ne sont plus aujourd’hui que d’humbles propriétaires campagnards. Il faut peu à peu s’identifier avec la nouvelle organisation sociale, reboiser ses domaines, remettre ses terres en valeur, reconstruire ses tours qui penchent et ses granges dévastées… Il faut vivre surtout, avant toute chose, et vivre honorablement avec ce que la révolution nous rend. J’ai déjà vu des cultivateurs qui me proposent de prendre à bail Mauguet et les trois domaines[1] qui l’accompagnent. Savez-vous combien ils m’offrent de ferme ? Dix-huit cents francs par an, mon ami !

— Mais c’est la misère ! s’écria vivement M. Margerie ; n’acceptez jamais de pareilles conditions, chère mademoiselle, vous ruineriez votre famille !

— Que faire pourtant ?… Vous savez docteur combien l’argent est rare, et combien mes terres sont en mauvais état… D’ailleurs, si les deux fermiers que j’ai vus s’arrêtent à ce prix, vous devez bien pen-

  1. En Limousin, on appelle une métairie un domaine. Ainsi, telle propriété se compose de quatre ou cinq domaines comme de quatre ou cinq métairies.