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puis déployer la table de jeu, tandis que vos mains courent sur le piano-forte ou agitent les aiguilles d’un tricot à jours. Mais, pardon !… je m’égare à travers le passé, et j’ai tort… car, depuis ce temps, la mort a fauché bien des têtes aimées… Votre mère, votre oncle, votre jeune belle-sœur, notre bon vieux curé… et votre frère est encore en exil.

— Ne craignez pas d’évoquer les souvenirs, cher docteur ; cela fait du bien au cœur de revoir ces temps heureux et paisibles après tant de déchirements. Prions pour les morts, et recommandons à Dieu leurs âmes chéries. Mais songeons aussi aux vivants qui prendront leur place. Mon frère a un fils que je ne connais pas encore, et tous deux vont revenir. Mauguet retrouvera ses châtelains. Aujourd’hui, vous et moi, notre jeune pasteur, à cette heure notre plus vieil ami, Louis Thonnerel, auquel son dévouement a fait pour toujours une place à notre foyer, nous allons réveiller les échos de la grande salle, secouer les tapisseries poudreuses, nettoyer les vieux portraits des aïeux, et reprendre notre simple et bonne vie.

— Oui, Mauguet retrouvera ses beaux jours, s’écria Louis d’une voix vibrante et sonore qui fit tressaillir Jeanne et ses hôtes, comme si l’affirmation du jeune avocat eût été un présage d’avenir. Oui, ajouta-t-il, ses murailles écroulées se relèveront, ses tours imprimeront encore sur le ciel le profil de leurs girouettes neuves… on entendra la chasse aux chiens courants rentrer dans les cours…