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tombe, je crois entendre au fond de mon cœur une voix qui répète, avec une mélancolie infinie, le refrain de ce cantique que nous chantions au couvent, après le salut :

    Le soleil vient de finir sa carrière,
    Comme un instant ce jour s’est écoulé !
    Jour après jour, ainsi la vie entière
    S’écoule et passe avec rapidité.

« Oui, elle passe, elle passe, et l’on ne peut ni la ressaisir au passage, ni en arrêter le cours. Ah ! quelle fièvre vous prend à cette pensée !… »

Elle jeta la plume et ferma le cahier en s’écriant : — À quoi bon écrire ?

Et tout en se promenant avec agitation par la chambre, elle ajouta mentalement : — Jamais un être sympathique ne lira ces pages où s’épanche mon âme tourmentée ; non, jamais.

Elle se coucha, prit un livre, et ne s’endormit que bien tard dans la nuit.

Telle était alors la vie intime de cette famille dont l’héroïque Jeanne avait relevé la fortune. En apparence, une profonde paix, un calme patriarcal ; en dessous, un menaçant orage, et sauf le curé, à qui la longue pratique des fonctions sacerdotales avait appris à lire au fond des âmes, et le docteur qui connaissait à l’éclat de certains regards les fièvres intérieures, nul ne se doutait qu’une mine était creusée sous l’édifice de Jeanne de Mauguet, et que la première étincelle pouvait mettre le feu aux poudres.