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ces jours vides dans lesquels ne tiennent aucuns souvenirs… Ainsi, ces dix ans-là ont passé comme un rêve ; et, quand je me dis qu’alors j’étais une jeune fille pleine d’illusions et d’espérances, et qu’aujourd’hui je suis une femme dont la jeunesse touche à son déclin, je n’y puis croire…

« Quoi ! mon corps a vieilli et mon âme est la même ? Ai-je donc des rides ? Tout est-il donc fini ?… Faut-il renoncer à toute espérance ?… Ah ! mais non ! je ne le veux pas !

« Je ne le veux pas ?… mais puis-je encore ne pas vouloir ?… Et d’ailleurs que ferais-je ? Comment s’opposer à la destinée ? Je sens en moi un ardent besoin de mouvement et d’animation. Cependant je n’entrevois pas comment le satisfaire. Il me semble que je voudrais courir au delà de nos horizons, et parfois j’entreprends à cheval ou à pied des courses folles dans la campagne. Il me semble que je voudrais sentir en même temps la crainte et l’enthousiasme… ou bien que je voudrais me passionner pour une noble cause et vouer à un être ou à une idée les forces surabondantes qui s’agitent en moi. Hélas ! hélas ! à qui suis-je utile sur la terre ?… Pas même à mon fils… Si je mourais subitement, personne ne s’apercevrait le lendemain que je manque ici !…

« Mais j’ai tort de me plaindre ; ni mon mari ni sa tante ne m’ont donné le droit de me trouver abandonnée. Je ne puis leur reprocher même un oubli à mon égard… Seulement, chaque soir, quand la nuit