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— Grâce à Louis, dit l’abbé Aubert, vous avez reconquis, non pas la fortune, mais la paix et la liberté. Ne vous semble-t-il pas que vous revenez d’exil ? Quelle vie isolée vous avez dû mener chez ces républicains, adorateurs de la déesse Raison, vous, fidèle royaliste et pieuse catholique !

— Il y a eu des jours cruels, mon ami, mais je me renfermais en moi-même. Je vivais dans le monde présent, comme une spectatrice désintéressée ; et puis, quand mon élève accompagnait son père dans les bals ou les assemblées, je pouvais rester seule. Alors, mon imagination retournait en arrière… Je revoyais le couvent de Beaulieu, ma cellule, mes compagnes,… puis Mauguet et ses profonds étangs qui reflètent le ciel… Mauguet vivant, animé, plein de parents et d’amis… le Mauguet d’autrefois, que nous avons connu ensemble…

— À pareille époque et à pareille heure, les cours du château étaient moins silencieuses, dit le docteur Margerie en regardant les feuilles jaunes que le vent d’automne avait secouées sur les étangs à la surface ridée par une brise déjà piquante, et le ciel rouge à l’horizon, çà et là moucheté de nuages pourpres et gris de fer. Votre oncle, le chevalier, revenait de la chasse avec votre frère : j’entends encore les aboiements des chiens et le cor du piqueur ; je vois les apprêts du souper que surveillaient votre mère et la jeune vicomtesse. Il me semble que c’était hier, et que nous allons nous réunir en cercle autour du foyer,