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coup étaient lents et mesurés, devinrent vifs et presque bruyants. On sentait qu’elle entrait en possession de sa liberté. Elle ranima le feu, se déshabilla précipitamment, passa un peignoir, attira près de la cheminée un de ces petits meubles anciens qui contiennent tant de tiroirs et de doubles fonds et s’étendit en face de la flamme dans une vaste bergère.

D’abord elle resta immobile, tandis que les expressions les plus diverses se succédaient sur son visage ; puis, après un moment de recueillement, elle ouvrit le meuble qu’elle avait attiré près d’elle et prit dans la cachette la mieux dissimulée un cahier déjà en partie couvert d’écriture. Elle en fit courir les feuillets sous ses doigts et s’arrêta au point où commençait le papier blanc. Alors elle prit encore un encrier, une plume ; mais avant d’écrire elle parcourut des yeux la dernière page et resta songeuse. Enfin elle commença :

« Un jour de plus encore ! Si je ne le marquais pas à la suite des autres, à peine m’apercevrais-je qu’il a passé. Quelle vie !… Et pourtant les années s’écoulent ainsi. L’âge vient. J’ai trente ans. J’ai trente ans !… Est-ce vrai ?… Ainsi, pour moi, la jeunesse qu’on accorde aux femmes est finie. Voilà dix ans que je passe dans ce pays, dans ce château, dans cette famille qui, dit-on, est devenue la mienne. Comment le temps peut-il être à la fois et si long et si court ?… Longues sont les heures qui se succèdent sans amener jamais rien d’imprévu… sans mettre aucun intérêt dans les jours… Courtes sont les années qui se composent de