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siècle, et elle n’avait pas trouvé le temps de les approfondir dans sa vie si active. Autrefois on était franchement une honnête femme ou une femme facile. Notre époque de fièvre intellectuelle devait créer la femme en même temps honnête et pécheresse.

C’est ainsi que les années se passèrent sans amener entre la tante et la nièce cette intimité du cœur qui eût été pour la vicomtesse un refuge et un préservatif. La jeune femme vénérait Jeanne comme une héroïne, mais elle la redoutait ; et précisément parce qu’elle en avait la plus haute idée, elle n’eût point osé lui parler des défaillances de son cœur malade.

Quant au vicomte, il croyait en toute bonne foi sa femme heureuse. Il se plaisait à ne point la laisser manquer de livres puisqu’elle aimait la lecture, et à lui offrir quelquefois une robe nouvelle ; et, s’il s’était aperçu qu’elle devenait triste, il aurait pensé qu’il ne la menait point assez aussi souvent au bal.

Ce soir-là le silence régnait dans le salon de Mauguet. Jeanne tout en tricotant des bas pour son petit neveu songeait sans doute à quelque détail d’intérieur ; le vicomte tuait le temps comme il le pouvait à l’aide de sa gazette, Marguerite s’ennuyait… ou suivait fiévreusement quelque rêve de liberté, de bruit, et de plaisir… son imagination était à Paris peut-être, au milieu des fêtes… ou bien en quelque lieu sauvage, avec un Manfred inconnu.

Voilà ce que nul n’aurait pu deviner à voir son