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sont aux mêmes places. Seulement Jeanne a cinquante-cinq ans. C’est maintenant une imposante douairière, son visage s’est flétri, tout en conservant les grandes lignes de la beauté passée ; son expression est à la fois austère et bienveillante. Son costume, également éloigné de la mode surannée et de la mode présente, semble tenir à la fois de celui de la grande dame, de celui de la paysanne et de celui de la religieuse. Elle a une robe de laine brune, un capuchon de dentelle sur ses cheveux blancs, une collerette et des manchettes d’entoilage plissé. Comme jadis, tandis qu’elle songe, ses doigts manœuvrent dextrement les aiguilles d’un tricot. On sent que pour elle, durant ces vingt-cinq années, la vie n’a point changé, que la même pensée a occupé son esprit et que les mêmes saisons et les mêmes heures ont amené les mêmes travaux.

En face d’elle, à la place où jadis s’asseyait Louis Thonnerel amoureux et plein d’espoir, le vicomte Charles lit distraitement une gazette en allongeant ses jambes sur les chenets. Plus près de la table, sous la lampe, la vicomtesse travaille avec une application apparente à un grand ouvrage de tapisserie.

C’est une femme de vingt-huit à trente ans, encore belle, mais dont la beauté semble fragile et la santé minée intérieurement. On dirait un fruit savoureux et vermeil qu’un ver attaque au cœur. Elle a les traits assez réguliers et la physionomie douce. Rien de saillant d’ailleurs à première vue ; rien qui la fasse distinguer dès l’abord au milieu d’un bal, mais mille