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l’homme a droit au bonheur ici-bas. De là naissent, chez toutes les âmes souffrantes, la croyance qu’elles sont lésées et le besoin de reconquérir ce qu’elles regardent comme leur héritage. La vicomtesse n’est pas heureuse, ou, du moins, elle mène une existence qui ne lui permet guère que les sentiments négatifs ; il faut maintenant qu’elle choisisse entre la résignation et la révolte… Eh bien… eh bien !… mon cher Margerie… j’ai peur de la révolte !

— Voyez-vous, reprit le docteur, il y a pour nous tous, hommes et femmes, un moment terrible dans la vie. C’est celui où nous sentons que notre parti pris va être définitif, que nous sommes au seuil de la vieillesse, et que si nous pouvons choisir encore entre deux routes, le lendemain nous ne le pourrons plus. L’instinct du bonheur préexiste dans l’âme humaine ; les philosophes l’ont surexcité, mais ne l’ont pas fait naître, et je ne crois pas que le danger serait passé le jour où j’aurais empêché madame de Mauguet de lire ceci ou cela, à supposer que je le puisse.

— Non, mais si vous l’obligiez, de par Tordre de la Faculté, à mener une vie active, à entreprendre de longues courses, à s’adonner aux exercices violents, vous la préserveriez de l’inaction, de la rêverie langoureuse et solitaire.

— C’est-à-dire qu’il faudrait mettre un intérêt dans sa vie, dit madame Margerie, Mais ne serait-ce point un peu au vicomte et à mademoiselle Jeanne d’y pourvoir ?