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son subtil et y font vite un effrayant ravage. Ces livres-là sont à la mode et ils engendrent la maladie du siècle, cette triste et sombre hypocondrie de l’égoïsme qui commence par la mélancolie et conduit au crime, au suicide ou à la folie…

— Mais, dit le docteur, vous rangeriez ainsi parmi les mauvais livres toutes les œuvres de la littérature contemporaine ?…

— Peu s’en faut. Et trouvez-moi donc parmi ces créations du génie moderne un ouvrage qui enseigne la soumission de l’esprit et le dévouement du cœur ? Tous sont des produits de l’orgueil et de la révolte. C’est l’apothéose du moi sous toutes ses formes. L’âme humaine y renouvelle la fable de Narcisse. Elle s’abîme et se perd dans la contemplation complaisante d’elle-même. Croyez-moi, docteur, ces livres-là gagnent bien des âmes à Satan… Et, pour ce qui est de madame Marguerite, aujourd’hui elle lisait René ; hier, Obermann ; demain elle lira Werther et Manfred ; vienne une occasion, la vicomtesse sera perdue…

— Oh ! mon ami, pour le coup, vous allez trop loin, s’écria vivement le docteur.

— Non. Voyez-vous, jadis on se perdait par entraînement, par curiosité, par séduction enfin. Alors je n’aurais point tremblé pour madame de Mauguet, car ce n’est point une âme dégradée. Aujourd’hui on se perd par sophisme. C’est au nom d’un raisonnement faux que l’on va au mal. Les philosophes du dernier siècle ont implanté dans le monde cette idée que