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feu, les yeux perdus dans la pénombre et les doigts manœuvrant distraitement les aiguilles d’un tricot ; puis assise près de la grande table, une plume à la main, et supputant la valeur de ses cheptels, le rendement probable de ses terres, le chiffre approximatif des dépenses nécessaires ; ou tournant fiévreusement les feuillets d’un livre nouveau…

Et il demeurait à la même place, regardant cette lumière qui se reflétait dans l’étang et projetait sur la neige des rayons roses. Il ne pouvait ni détourner les yeux, ni quitter son poste d’observation. Tout à coup, au milieu du calme de la campagne, il entendit résonner un accord, puis un autre… Jeanne était au clavecin et y essayait les vieux airs de l’abbé Aubert, mais sans suite, sans parti pris, et comme au hasard. Évidemment elle poursuivait, elle aussi, une pensée, car elle s’interrompait par intervalles inégaux, lançant quelques notes à travers le silence, abandonnant son motif inachevé, et recommençant tout à coup les premières mesures d’un autre air.

Louis attacha son cheval, qui piaffait d’impatience, au tronc d’un des arbres restés debout ; puis il descendit jusqu’à l’étang pour entendre de plus près les sons du clavecin. Parfois Jeanne chantait une phrase entre deux accords. Louis, l’ail fixe, l’oreille tendue, demeurait comme fasciné. Quand il se vit si près d’elle, une tentation folle le prit de gravir la rampe de l’étang et de s’élancer jusqu’aux pieds de sa maîtresse. Sa conscience repoussait avec énergie