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tricot commencé ; mais ce soir-là, contrairement à ses habitudes, elle ne le prit point, de peur peut-être de diminuer par l’action l’intensité de son bonheur intime, ou d’éveiller, par le bruit léger d’une aiguille ou d’un peloton glissant à terre, l’attention de l’abbé sur le temps qui s’écoulait.

Ce fut lui toutefois qui donna le signal de la retraite. Louis se leva en même temps, et tous deux prirent congé de Jeanne par les mêmes paroles et les mêmes souhaits ; elle les accompagna jusqu’au portail, et les regarda s’éloigner aussi longtemps que ses yeux purent distinguer leurs silhouettes sur le ciel. Elle rentra lentement, perdue dans ses pensées, regagna le coin du feu où la solitude appela peu à peu la mélancolie, puis se coucha et ne dormit point.

De ce jour-là cependant, elle prit le parti d’être heureuse. Mais elle voulait attendre, pour donner carrière à son bonheur et le faire partager, l’autorisation du vicomte son frère ; c’est pourquoi elle résolut de ne plus s’exposer aux dangereuses ivresses de la passion. Cette journée, passée presque entière en tête-à-tête avec son amant, la rendait craintive. Elle avait senti le vertige et ne voulait plus se pencher sur l’abîme.

Désormais elle arrangea sa vie de manière à ne plus être seule les jours où Louis devait venir. Tantôt c’était le curé de Saint-Jouvent qui passait la veillée à Mauguet, tantôt c’était le docteur Margerie et sa femme. D’autres fois elle chargeait Louis de lui amener M. Maurel pour décider quelque entreprise