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prême. Parfois même elle était effrayée de la puissance de ce sentiment qui soulevait tant de pensées et de résolutions opposées.

Cependant, peu à peu, les raisons de l’abbé Aubert triomphaient dans cette âme troublée. Elle se laissait aller vers l’amour, vers la paix, vers l’espoir avec une ivresse délicieuse. Les heures de la nuit s’écoulaient sans qu’elle eût conscience du temps. La lampe, en s’éteignant, vers le matin, la rappela au sentiment de la réalité. Elle courut à sa chambre et pria longtemps devant le crucifix d’ivoire qui gardait le chevet de son lit, puis elle s’endormit sans avoir pris une résolution définitive, mais pourtant l’âme apaisée.

Louis vint le lendemain. Il rejoignit Jeanne qui présidait elle-même aux premières trouées dans la haute futaie de Mauguet. Elle choisissait et marquait les arbres d’une main sûre, dévouant à la hache les chênes aux troncs les plus droits, les ormes sans nœuds et les acacias centenaires.

En la voyant si courageuse devant le devoir, si implacable en face de la nécessité, tandis que Myon se tourmentait au logis, Louis eut peur, comme si le coup de hache dont Jeanne faisait frapper, sans pâlir, ces arbres antiques, lui eût été un présage funeste. Il trembla que l’amour qui s’élevait si vivace dans son cœur ne fût tranché de même par ce caractère tout d’une pièce, qui ne savait pas transiger avec les faiblesses humaines.