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jour plus grande ; et déjà, parfois, il lui était arrivé de frémir d’épouvante en se demandant ce qu’elle deviendrait le jour où Louis cesserait de l’aimer,

— Ainsi, murmura-t-elle en relevant son front devenu rouge, je puis donc me laisser aller au bonheur !… Je puis aimer Louis… l’épouser… Mais mon frère consentira-t-il ?…

— Je me charge d’écrire au vicomte de Mauguet, qui, lui aussi, a des devoirs à remplir, interrompit le prêtre.

Pour la première fois, depuis qu’elle avait conscience de son individualité, Jeanne entrevoyait ses droits légitimes aux joies de ce monde. Pour la première fois, elle se dit qu’elle pouvait être épouse et mère. Cette terrible loi de renoncement, qui pesait sur elle depuis sa naissance, cessait enfin de dominer sa vie. Jusque alors elle ne l’avait pas raisonnée. Elle l’avait acceptée comme une nécessité, et religieusement observée comme un devoir. Tout à coup elle osa trouver que cette loi était bien cruelle, et douter de la justice de ces principes qui sacrifiaient partout l’individu à la famille.

Mais ces idées eurent à peine germé dans son cœur qu’elle les repoussa avec effroi. Son esprit viril et précis en jugea vite la portée et les conséquences. — Eh quoi ! se dit-elle, je pactise par cette seule révolte avec la révolution ; je renie ma cause et ma foi : j’abandonne le devoir pour le droit, l’autorité de Dieu, représentée par celle du chef de famille, pour la liberté