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plus qu’un monceau de cendres et qu’un champ désolé. La mort a frappé Déiphobe, Asius, Hector, et tous ceux qui t’inspiraient des craintes. J’ai échappé aux dangers de la guerre en tuant Rhésus, roi des Thraces, et j’ai emmené dans mon camp ses chevaux captifs. J’ai enlevé sain et sauf dans le temple de Minerve le gage sacré de la victoire. Renfermé dans le cheval de bois, je n’ai point éprouvé de terreur, malgré les dangereuses suggestions de Cassandre, qui s’écriait : « Troyens, brûlez, brûlez le cheval ; ce colosse imposteur renferme des Grecs, qui vont porter les derniers coups aux malheureux Troyens ! » Le corps d’Achille était privé des honneurs du tombeau ; je l’emportai sur mes épaules, et le rendis à Thétis. Les Grecs ont noblement récompensé mon zèle, en m’offrant les armes du héros dont j’avais sauvé la dépouille. Mais, hélas ! elles sont ensevelies dans les ondes. Je n’ai plus ni flotte, ni compagnons ; la mer a tout englouti.

Il ne me reste plus que l’amour, l’amour qui fait tout supporter, et qui m’a soutenu au milieu de tant d’infortunes. Rien n’a pu en triompher, ni la fille de Nisus entourée de chiens avides, ni les gouffres bouillonnants de Charybde, ni le cruel Antiphate, ni la sirène Parthénope, malgré ses perfides accents. En vain Circé recourut aux philtres de Colchos ; en vain Calypso m’offrait un hymen solennel. Toutes deux eurent beau me promettre l’immortalité, et m’assurer qu’elles m’ouvriraient le chemin des enfers ; et pourtant, au mépris d’un si bel avenir, toi seule occupais mes pensées, destiné que j’étais à tout souffrir sur la terre et sur les flots.

Mais, peut-être préoccupée d’un nom de femme, n’achèveras-tu pas ma lettre sans inquiétude ; peut-être