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mettre à genoux devant le patient, et le prenant à la barbe lui faire baisser la mâchoire d’en bas, puis ayant mouillé son doigt dans je ne sais quelle eau qu’il avait dans une petite écuelle de verre, il prit d’une certaine poudre blanche, de laquelle il frotta les gencives et les dents ; puis ouvrant une boîtelette, il en tira je ne sais quels petits ossements, lesquels il lui fit entrer dans les gencives, les attachant avec un fer bien délié, des deux côtés où ils pouvaient avoir quelque prise.|90}}


Le sceptique Montaigne, qui ne croit pas à l’efficacité des remèdes, se montre hygiéniste avisé, quand il nous expose la façon dont il soignait ses dents. Il ne se sert ni de poudre, ni de brosse ; il se contente de les frotter avec une serviette : « J’ai toujours eu les dents bonnes jusqu’à l’excellence, écrit-il, dans ses Essais[1] ; j’ai appris dès l’enfance à les frotter de ma serviette[2] et le matin et à l’entrée et issue de table. »

  1. Livre III, chapitre xiii.
  2. Les traités de civilité s’élèvent contre cette pratique. Dans Les Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne, de J.-B. de la Salle (le célèbre fondateur de l’Institut des Frères des Écoles chrétiennes, il est dit : « Il est malhonnête de se servir de sa serviette pour s’essuyer le visage ; il l’est encore bien plus de s’en frotter les dents, et ce serait une faute des plus grossières contre la civilité de s’en servir pour se moucher. C’est aussi une chose indécente de s’en servir pour nettoyer les assiettes et les plats. » Preuve que cela se faisait au… XVIIIe siècle ! On se servait encore, cependant, du cure-dent, ainsi qu’en témoigne un dialogue de la pièce de Destouches, le Curieux impertinent. Crispin, voulant imiter un petit-maître, pour plaire à Nérine, ces propos galants s’engagent entre eux :

    Crispin.
    Pour être plus aimable,
    Plus piquant, plus charmant, je vais me débrailler
    Tiens, remarque ces airs.

    Nérine.
    Ah ! qu’ils vous font briller !

    Crispin.
    La main dans la ceinture, un ou deux pas de danse
    Et puis du cure-dent l’aimable contenance.

    Nérine.
    Que de raffinement !

    Crispin.
    Quand on veut plaire aux gens,
    Il n’est rien de si beau que de curer ses dents.