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XXVIII


Et pourquoi me trouvé-je compris, victime involontaire, dans la gémissante procession de ceux qui vivent ?

Est-ce parce que les nuits sont longues ? Et qu’alors, ne sachant comment passer leur temps, deux êtres humains se sont rapprochés pour me produire ? Et si j’estime que les respectables auteurs de mes jours eussent bien mieux fait de dormir ou de songer un peu plus à ce qu’ils faisaient ; si la vie qu’ils m’ont transmise, sans savoir ni pourquoi ni comment, n’est plus pour moi qu’une interminable succession de douleurs, faudra-t-il que, par reconnaissance pour la peine ou le plaisir qu’ils ont pris pendant une seconde, je conserve, moi, cette existence à perpétuité[1] ?

  1. C’est généralement avec préméditation que les bourgeois ne se reproduisent pas ou se reproduisent : tantôt sous la forme d’un avocat, tantôt sous celle d’un notaire, d’un médecin, d’un fonctionnaire ou d’un filou quelconque. Nombre, sexe, profession de la progéniture, tout est bien calculé sur ses rentes à venir, quand elle n’est encore qu’en chantier. Malheureusement les procédés ne répondent pas aux intentions. Les bourgeois n’ont pu réussir encore à faire passer la nature sous les fourches caudines de leur gêne. Mais il ne faut désespérer de rien ; nous vivons dans le siècle des grandes découvertes et des moralités de haute-école. Nous touchons à la nuit heureuse où le rêve du grand Malthus se réalisera pour la générale jubilation des classes honnêtes et modérées. En vérité, je vous le dis, les bourgeois sont plus malins que les singes !