Souvent aussi les vieillards la prenaient sur leurs genoux tremblants, 296 et la baisant au front : Mère, disaient-ils, confie-nous l’enfant aux yeux bleus ; elle nous rappellera nos joies et nos amours à jamais perdues. Nous la rendrons bonne et sage, car les années donnent de l’expérience. Car nous avons eu la patience de vivre. Et puisses-tu ne jamais savoir ce qu’il faut de courage pour cela !… »
Et Marina tendait vers les cieux l’enfant rieuse, et pendant quelques instants la laissait au bras des vieillards. Puis jalouse, elle la ramenait sur son sein, redoutant qu’elle ne fût séduite par les harmonies des mondes supérieurs et ramenée dans l’Éternité dont elle sortait à peine.
Oh que ne la laissait-elle emporter par les anges, les oiseaux et les vieillards adorés des enfants ! Ou plutôt, pourquoi l’avait-elle déposée dans cette vallée de nos larmes où elle ne devait passer, la pauvre enfant, que les heures suffisantes pour qu’on rabotât son cercueil ? !
— Hélas ! Notre existence est une coupe taillée dans le cristal et remplie jusqu’au bord d’un liquide vermeil ; elle étincelle devant notre jeunesse, comme un mirage à l’horizon des déserts. Altérés de santé, de bonheur et d’amour, haletants, semblables aux coursiers de bataille, nous la buvons d’un trait. Tant mieux !…
Malheur à celui qui prendrait le temps de goûter le breuvage amer ! Malheur au malade qui sau-