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moi, mon grand ami. Car je songe à la gloire ; et toi, tu suis dans l’air la fumée d’un cigare ou les ailes d’un songe. Car je me préoccupe encore des hommes, et tu ne les vois plus. Car je réfléchis quand tu chantes, et j’écris quand tu rêves. Car tout rêve est brillant, toute réalité pâle ; car tout rêve est bonheur, toute réalité peine.

Ceux qui me nomment fou t’appellent ignorant, simple d’esprit, borné de moyens. Frère, sais-tu pourquoi ?

C’est que tu n’es pas fait, comme eux, pour les intrigues, les querelles, les vanités mesquines. C’est que tu n’es pas un homme de parti, de police, de trahison et de mensonge. C’est que tu ne sais pas supputer les intérêts qu’une amitié rapporte.

Sois-en fier. Laisse-les briller dans les discours frivoles, dans les conversations calomnieuses, dans les serments fragiles que prête et viole la duplicité de leur cœur. Méprise tous ces gens qui se font esclaves du peuple pour lui mieux voler argent et suffrages.

Tout est calcul en eux : le sourire, l’éloge, le blâme, la poignée de main, la lettre qu’ils écrivent, la recommandation qu’ils donnent, les désunions et les rapprochements que leur ruse provoque. Ils t’importuneront dans le succès, ils t’accableront dans le malheur ; ils te vendront toujours. Tu les verras, comme les mouches, s’abattre sur le miel et fuir les vents glacés qui prédisent l’hiver. Méprise-les !