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lie, alors que le bonhomme Minuit enfourne sa tête grise dans son vieux casque-à-mêche et promène ses douze baîllements de tonnerre dans les crevasses des rochers… Alors que le lys des vallées, replié sur sa tige, pleure la lumière absente, que le batelier diligent a jeté l’ancre fidèle, cargué les voiles, séché, verni, lissé sa barque si chère, comme ferait le cavalier pour son cheval… Alors que les Alpes tremblent, ainsi que de jeunes vierges, aux approches de la nuit…

À cette heure, le Chevalier du Lac s’élève lourdement au-dessus des abîmes ; c’est avec peine qu’il soutient à fleur d’eau son corps bardé de fer.

Le nom du Chevalier ? — S’appelle-t-il Humbert à la blanche main, ce chef redoutable qui, le premier, porta dans les batailles la croix des ducs savoyards ? — Est-ce le Comte Verd, exterminateur des Maures ? — Est-ce Philibert-Emmanuel, le glorieux vainqueur de Saint-Quentin ? — La légende reste muette. Le gouffre gronde ; c’est du sang frais qu’il veut. Qu’on ne lui parle pas des morts ! Ou qu’on craigne ses colères sombres et les insatiables appétits que ce mot éveille dans ses entrailles !

« Qu’on amène mon coursier sarde ! Je veux gravir les monts confiés à la garde de ma race. » — Ainsi dit le Chevalier.


Tout autour du lac s’étendent des écuries de cristal rafraîchies par mille sources jaillissantes et parfumées de la senteur des herbes marines. Là, plus de mille chevaux sont enchaînés par des li-