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pionniers de la pensée s’avancent à l’assaut des consciences froides. D’abord nous luttons avec peine contre la fureur des vagues, les secousses désespérées des vents et les barques pesantes. Puis nous croissons et multiplions ; nous nous tassons, croisons nos racines, les enfonçons dans 534 la vase et le sable, dispersons nos graines autour de nous et surmontons toute résistance.

» Alors nous prenons un pied,… deux pieds,… puis quatre. Nous envahissons, resserrons l’empire du vieux Neptune au trident ramolli ; nous caressons les lames et modérons leurs élans par nos discours trompeurs. Chaque année nos plus braves succombent, et nous avançons sur leurs dépouilles comme, dans la bataille, les soldats enivrés. Entre nos pilotis un nouveau sol se forme ; il monte, il monte… la terre arrive enfin à la surface de la plaine aqueuse. C’est en vain que plus tard le flot hurleur veut reprendre ce qu’il a perdu : la terre résiste à tout ; nous combattons pour elle !

» Et quand elle a vaincu, les herbes plus heureuses et plus frêles, les plantes parasites s’étalent sur son sein plus gonflé, bruni par le soleil. Nous leur laissons la place. Car nous aimons les grandes luttes, la guerre des éléments et la tempête folle qui nous bat de ses bras. Et nous traçons toujours, plus avant, plus profond. Car nous sommes les vertes tiges de promesse et les fleurs d’alliance que la Nature, dans sa sollicitude, fait prospérer, aimer et reproduire entre la terre et l’eau.

» Gloire à toi, saint Amour !