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veaux et les agneaux jouissent en liberté de leur courte existence. Mais l’homme réservé pour d’incessants travaux, l’homme que menacent tant de dangers de mort, l’homme qui peut pénétrer plus avant que tout autre animal dans les secrets de sa destinée, l’homme avare et rapace se condamne, dès le sein de sa mère, au plus lent des suicides, celui par la faim et le salariat. Qu’on ne vienne pas me dire qu’il est doué d’une intelligence supérieure aux autres êtres, et qu’il marche en levant les yeux aux ciel. Hélas ! le pauvre enfant des fabriques est bien morne, bien souffreteux, bien plus courbé, bien moins agile que l’animal ! Il marche le front penché vers la terre ; ceux qui l’exploitent craignent qu’on l’instruise, ils ne lui laissent pas même une heure sur vingt quatre pour aller à l’école. L’enfant doit respirer, se mouvoir et sentir comme la machine qu’il suit. Celle-ci devient sa marâtre, son unique société, son modèle ! Qu’on s’étonne encore de l’abrutissement de l’ouvrier au dix-neuvième siècle ! — « N’y a-t-il pas comme une guerre sur terre ? Les jours des mortels ne sont-ils pas comme ceux des mercenaires ? »


Dans le pays d’une obscurité semblable à l’ombre des sépulcres, deux ans j’ai séjourné. J’ai vu Londres et Birmingham, Manchester et Sheffield. J’ai vu la multitude des prolétaires anglais défiler à minuit sous les torches des tavernes grises où l’on boit l’eau ardente. Ils n’avaient pas de chemise et portaient un habit !