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ne soulageait, mais en pleine conscience de son état, en mort-vivant, et luttant, probablement, toujours vaillamment contre le mal envahissant. De même que ses livres paraissent étranges à ceux qui ne comprennent pas le langage de la liberté, beaucoup de choses en lui ont dû paraître étranges à ses voisins ; mais la folie ne l’aura saisi qu’au dernier moment, et alors il a tenu parole : il s’est suicidé. Ou bien le suicide a été accompli en pleine raison (c’est mon opinion personnelle) ; ou bien la raison ébranlée a cédé automatiquement à la suggestion du suicide, puisque, Cœurderoy ayant si souvent pensé qu’il se suiciderait pour échapper à la folie, l’exécution de cette résolution devenait un geste involontaire.

D’après le récit d’un voisin, M. Gros, à Fossaz, le jour de sa mort Cœurderoy avait poursuivi sa femme en courant, un pistolet à la main. Dans le jardin, il trébucha sur un fil de fer, et sa femme se sauva, appelant au secours. On trouva les portes fermées, et, en escaladant la galerie au moyen d’une échelle, on le vit étendu sur son lit, les veines ouvertes, mort. L’idée fut émise dans le village qu’il avait voulu se saigner pour se calmer et qu’il s’était blessé à mort involontairement dans sa surexcitation. Tout en écartant cette hypothèse, ne pourrons-nous pas conclure, du fait même que l’hypothèse a pu être formée, que l’opinion de la folie n’était pas gé-