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à peine effleurée du bout des ongles. Et les damnées, 488 rendues de fatigue, moitié pleurant, moitié dansant, rentraient dans les modernes malebolges !


Les infortunées ! — Les filles dites de joie, qui ne sont que tristesse ! Les filles dites d’amour, qui ne sont que rancune ! Les éternellement stériles, sans cesse conviées à la fécondité ! Les fiancées de la Mort, toujours et toujours rappelées à la vie par des transports qui leur sont insupportables. Les hommes les poursuivent de leurs brutales caresses, de leurs obscènes insultes ; les enfants les sifflent, les couvrent de poussière. La police qui protège toutes les lâchetés les laisse lapider en souriant. Elles font le bien, on leur rend le mal. À leur métier honni, elles deviennent acariâtres, haineuses, plus grossières que ceux qui les fréquentent. Attaquées par tous, il faut qu’elles se vengent de tous ; maltraitées, il faut qu’elles maltraitent. — Oh cela serre le cœur, de voir la femme ainsi traînée dans la boue des ruisseaux !

Leur corps est comme un tronc d’arbre fulguré ; leurs charmes se flétrissent comme des rameaux privés de sève. Car la santé s’est retirée d’elles avec la joie. Elles ont quinze ans, seize ans, l’âge où les femmes heureuses s’épanouissent à la vie. Déjà cependant les plus affreuses maladies se réjouissent dans la moëlle de leurs os ; déjà la Mort réclame leurs cadavres couverts encore de parures empruntées !