Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/310

Cette page a été validée par deux contributeurs.

par les intrigants politiques, les partis les plus avancés s’inquiètent si peu des droits organiques de l’homme, que dans leurs plus affreux désespoirs, dans leurs plus grandes famines, les ouvriers manquent de toute direction, de tout conseil. — Il n’est pas d’association ouvrière à Turin, pas une grève n’y est possible faute de ressources et d’énergie !


Il y a tant de misère dans ce pays que, pour fuir l’angoisse de son âme, le pauvre doit souvent se réfugier dans les bras de l’ivresse. — L’Ivresse ! la fausse bonne fille aux joues roses de feux et non de fraîcheur, la consolation dernière, plus assassine encore que la Prostitution ! Autant d’hommes la fréquentent, autant meurent promptement dans des douleurs atroces ! Elle les endort sur son sein râlant, verse à leur estomac des liqueurs corrosives, ce que l’on nomme l’eau-de-vie, les boissons cordiales, 465 ce que j’appelle l’eau-de-mort, les poisons desséchants, qui dissolvent les tissus, les brûlent, les carbonisent et ne trompent la faim que pour l’exaspérer !

Il y a tant de misère dans ce pays que souvent le travailleur envie le sort du prisonnier et du mendiant. Il tend la main à ceux qui passent, il se fait enfermer pour être sûr d’un gîte, pour conjurer la faim ! Souvent aussi, dans cette extrémité, il conduit ses enfants et sa femme sur la place, les fait chanter, danser, égayer le public, quand ils ont la mort dans l’âme, quand lui, l’infortuné, souffre encore bien plus qu’eux !