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oiseau, couvert de cicatrices, d’indurations, de mille plaies chroniques. — Chacune de ces plaies provient d’un jeûne, et chaque jeûne reproduit une plaie. On peut suivre ainsi les dates de toutes les épreuves que ces malheureux corps ont traversées dans cette vie. — Muscles amincis, amaigris, infiltrés, réduits à une substance d’un blanc-jaunâtre qui se déchire sous la pression du doigt. — Lèvres pâles, plombées ; l’angoisse leur a fait prendre l’habitude de la contraction. — Artères et veines rétrécies, flasques. — Cœur élargi, relâché, altéré dans sa structure intime, d’une fibre sans consistance. — Cerveau ramolli, gonflé d’un sang verdâtre, parsemé de dépôts calcaires : ce sont autant de traces des appréhensions désespérantes qui tourmentaient l’ouvrier dans son travail de chaque jour. — Sang raréfié dans ses éléments plastiques, substantiels, essentiels à la reproduction des forces agissantes. — Système nerveux dominant tous les autres, comme sur les cadavres des gens de lettres…

Et voilà donc où tant de travail aboutit ! À la langueur dans la vie, à la rapide venue de la mort, à la table de dissection ! La tombe ne s’ouvre-t-elle pas assez vite sous l’homme fragile qu’il prenne à tâche de la creuser ainsi ? Ah maudit soit l’instinct qui nous rattache à l’existence ! Que de douleurs s’épargnerait l’ouvrier en se laissant aller au long sommeil ! Que de coupes amères écartées de ses lèvres !

Moi, voyant cette carrière d’angoisses, je leur