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son travail. L’émulation lui manque ; son bras devient inerte, sa tête sans vouloir. On le voit s’endormir de jour quand il n’a pu se coucher la nuit ; il met quatre heures à faire ce qui n’en voudrait qu’une. Il est tellement déprimé, flétri par l’esclavage, tellement fait à la chaîne que, dans les heures de repos même, il se promène tristement autour de l’atelier de son maître. Il est là, bras croisés, dans l’attitude d’un être las de la vie, ne sachant diriger ses pas ailleurs, ne le pouvant point, ne le voulant point, entrant, sortant, mangeant, buvant au son d’une cloche, comme font les troupeaux.

Ah ! qu’elle est profonde, indélébile l’empreinte que laisse la servitude sur une face humaine : rien ne saurait l’effacer. Il n’est pas besoin de marquer d’un signe infamant les forçats du travail ; chacun de leurs traits et de leurs mouvements trahit le sceau fatal ! Ils ont le dos voûté, la démarche pesante, la face terreuse, verte comme celle d’un cadavre qu’on aurait exhumé. Quand un homme a subi dix ans de cette condamnation à perpétuité, rien ne le relève plus ; le mal est dans son sang, l’incurable mal de la misère !

Ô moderne Ixion, que ta roue tourne vite ! Comme elle te broie, te déchire ; comme elle verse ton sang vermeil ! Jour par jour, goutte à goutte, ta vie non réparée s’écoule ainsi qu’un fleuve dont la source est tarie ! Un muscle après un autre, puis, les poumons, le cœur et le cerveau si fin : tout y passe à son tour ! Notre sol est jonché des débris