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le geste, la parole, le sommeil, 359 le délire et le rêve. Les larmes brûlantes mouillent la poussière, oxydent les verroux, tombent sur la pierre et la réchauffent encore ; mais jamais elles ne ramollirent le cœur calleux d’un guichetier.

C’est là qu’on est à double vue gardé, renfermé sous triple serrure, rivé à quadruple chaîne, à quintuple grille isolé. C’est là qu’on décachette vos lettres, qu’on fouille vos amis, votre femme ; qu’on analyse les aliments, l’eau, la potion qui doit vous guérir, la plume et le papier qui traduisent vos pensées.

C’est là qu’on insulte, qu’on trahit, qu’on vend et revend le malheur ; là qu’on fait saigner sans merci toutes les cicatrices. C’est là qu’il faut respirer le même air que les plus ignobles de la police ; là que le premier élu parmi les ignorants et les lâches a le pouvoir d’interroger, de réprimander, de punir les plus intelligents et les plus fiers des hommes.

L’autorité sait bien choisir les tortureurs des prisons. Elle les prend au milieu des renégats politiques et des forçats libérés. Elle ne cherche pas à tenter ceux qu’elle sait capables de revendications courageuses, mais elle entoure les mauvais larrons dont elle a pesé les haines, mesuré les crocs, goûté la bile amère. Elle ne tend pas ses pièges sur le passage des loups qui veulent rester maigres, mais sur celui des molosses qui demandent à prendre du ventre et flairent un maître en aboyant.