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leur lâcheté. Car les bourgeois ont peur de tout ce qui n’est pas médiocre, moyen, ordinaire, modéré, passe-partout comme eux. Ils coupent leur barbe, la queue de leurs chevaux et les têtes de leurs supérieurs. Gare à ceux qui en ont !

Oh ! que les préfets, les gendarmes et les justiciers font donc bien de vous voler et de vous humilier selon vos mérites, bourgeois 352 qui leur faites si parcimonieusement l’aumône de leur pauvre vie ! Comme je me ferais servir à leur place !

Oui, si j’étais à la tête de l’un des 86 départements de la belle France, j’exigerais des notables de l’endroit que mon couvert fût mis chaque jour à leur table, à mon heure ; que leurs femmes s’éprissent de moi ; que leurs garçons fussent mes pages, et leurs filles, mes courtisanes. Je leur demanderais la belle gerbe de blé, le haut et robuste chêne, la fine bouteille du crû, la génisse du troupeau ; les droits, tous les droits du Seigneur ! Je leur interdirais de mettre le pied sur le seuil de leurs portes sans passe-port ; je voudrais que ceux qui voient clair me saluassent à mille pas, et les myopes à deux mille. Tous les dimanches, je ferais fouetter leur zèle et leur amour de l’ordre avec des orties brûlantes, au bon endroit, à nu, au vif, sans rémission. Enfin je contraindrais ce monde-là à doter tous mes enfants ; et tous les neuf mois, sans faute, j’en ferais un à ma femme. Et je les verrais épanouis, joyeux, et gras, et roses venir baiser mes pieds en chantant : « Quel honneur, quel bonheur ! Je suis votre humble serviteur ! »